Les mots sur Hamsun

Ernest Hemingway voulait écrire comme Hamsun, Henry Miller aussi. Il l’appelait son maître. Thomas Mann l’adorait, Herman Hesse l’appelait son favori. Les écrivains Russes comme Andre Bely et Boris Pasternak lisaient Hamsun constamment dans leur jeunesse, André Gide le trouvait supérieur à Dostojevski. Ils l’ont tous lu – Kafka, Brecht, Gorky, Wells.

– Ah ! combien toute notre littérature paraît, auprès d’un tel livre, raisonnable. Quels gouffres nous environnent de toutes parts, dont nous commençons seulement à entrevoir les profondeurs ! Notre culture méditerranéenne a dressé dans notre esprit des garde-fous, dont nous avons le plus grand mal à secouer enfin les barrières; et c’est là ce qui permettrait à La Bruyère d’écrire, il y a déjà deux siècles de cela : « Tout est dit ». Tandis que devant La Faim on est presque en droit de penser que, jusqu’à présent, presque rien n’est dit, au contraire, et que l’Homme reste à découvrir.

(André Gide)

– Je tiens “La Faim” pour un des grands livres de la litterature europeenne (André Gide)

– Ces livres ne sont ni vieillis ni démodés, et même ont gagné à l’épreuve du temps au point qu’ils sont souvent d’une modernité stupéfiante. (Hubert Nyssen)

– Je voudrais parler aujourd’hui d’un homme singulièrement doué, d’un personnage original et puissant qui mérite, à tous les égards, l’attention des lettrés et des curieux d’âmes peu banales.[…]
J’ai là, sous les yeux, la photographie de Knut Hamsun. C’est un homme de forte carrure, de membres vigoureux et souples. Sous des cheveux rudes, impeignés, son front est modelé en coups de pouce énergiques et nets. Son regard est étrange. Dans l’enfoncement de l’orbite, il a des lueurs profondes et sourdes. On sent qu’il a dû connaître bien des spectacles exceptionnels : il a quelque chose de lointain, de voyageur, de nostalgique, comme le regard des marins. La moustache se retrousse, courte et mangée aux bords, sur une lèvre pleine de bonté. Physionomie d’expression double, énergique, et tendre, ardente et contenue, pénétrante et voilée, fière et triste et, marquée ça et là aux joues creuses, aux narines pincées et reniflantes, des signes de la souffrance, elle impressionne et retient longtemps l’esprit. […]
Il faut aimer cet homme ; il faut suivre, avec passion, cet admirable et rare artiste, à la simple image de qui j’ai vu briller la flamme du génie. (Octave Mirbeau, mars 1895)

L’amertume, la folie, la haine, le mépris, les dénigrements qui se donnent libre cours dans Mystères ne doivent pas nous faire oublier que Hamsun était d’abord et avant tout un amoureux de la nature, un solitaire, un poète du désespoir. Il est capable de nous faire rire aux moments les plus inattendus – parfois même au beau milieu d’une scène d’amour passionnée – et pas toujours pour de bonnes raisons. Il peut, en un clin d’oeil, retourner une situation. De fait, il paraît souvent vouloir se libérer, s’extraire de sa propre peau. Mais si incisif que soit son humour, si mordantes que soient ses récriminations, cela ne nous empêche pas d’avoir le sentiment, la certitude, que c’est là un homme qui aime, un homme qui aime l’amour, et qui est condamné à ne jamais rencontrer une âme accordée à la sienne. Hamsun est vraiment ce qu’on pourrait appeler un aristocrate de l’esprit.

(Henry Miller, préface à Mystères)

– Ce qui est frappant dans ce livre insistant, laborieux, grave et impitoyable, c’est ce climat d’impuissance humaine, et cette solidarité avec les pièges de la nature. Contrairement à ce qu’affirme le titre, les personnages ne sont pas des vagabonds: ils sont cloués à un coin d’Europe où ni la mer, ni les falaises, ni les îles ne peuvent s’empêcher d’être grimaçants. C’est beau, lourd et d’une lancinante vérité. Knut Hamsun est un écrivain sans pardon: il faut le lire, en peinant. (Alain Bosquet : Le magazine littéraire (février 1989))

– Hamsun est un grand romancier d’une espèce rare qui redistribue l’imaginaire et le réel, le symbolique et le vécu, le mystère et l’évidence sur ordre d’une imagination créatrice toujours maîtresse de son dessein.(Hubert Nyssen)

Knut Hamsun n’écrit pas, à la façon des naturalistes, sur plans et sur fiches. Il ne s’attelle pas à sa table de travail chaque matin. Il ne se condamne pas à remplir tous les jours trente pages, ou dix, ou une seule. Non. Il écrit quand ça lui chante, et c’est alors un merveilleux. Quand ça lui chante, c’est la nuit le plus souvent, lorsqu’il a dormi deux ou trois heures, et se réveille en sursaut. Alors de jeter sur le papier ses mots dans l’ombre. Ce sont tantôt des notes conformes au projet qu’il formait en plein jour; le plus souvent, tout à fait étrangères, et dont il ne sait que faire au réveil: il les épingle l’une à l’autre, à tout hasard. Et parfois aussi l’esprit souffle si vite qu’on n’a le temps de rien écrire. Or Hamsun n’a pas été long à observer que les repas lui donnent une sorte de calme placide (cette même sorte de calme, écrit-il à un ami, qui succède aux crises de larmes). Mais les privations au contraire le disposent à certaine extase, d’où sortent poèmes et contes. Donc il lui faut bien accepter la faim comme il accepte sa vocation, c’est tout un.

(Paulhan, 1969)

– Je l’ai toujours aimé, dès ma jeunesse. J’ai senti de bonne heure que ni Nietzsche ni Dostoïevski, après leur mort, n’avaient laissé dans leur pays un disciple de cette envergure. Les charmes incomparables de ses moyens artistiques m’enchantaient déjà quand j’avais dix-neuf ans et je n’oublierai jamais ce qu’ont signifié jadis pour ma réceptivité de jeune homme la Faim, Mystères, Pan, Victoria, ses nouvelles et le journal de ses voyages. La gloire mondiale qui a rejailli sur son nom, avec l’attribution du prix Nobel, me remplit d’une satisfaction vraiment personnelle; je trouvais que jamais il n’était tombé sur un poète plus digne de l’avoir. (Walter A. Berendsohn)

– Par l’intermédiaire de son éditeur allemand, j’ai fait dire à Hamsun: le propos de Berendsohn [que Hamsun a pris de l’inspiration chez Thomas Mann, ed.], cet homme de mérite, est incompréhensible et absurde, s’il y a un rapport d’influence et de dépendance, c’est exactement dans l’autre sens. (Thomas Mann)

– Ses premiers ouvrages poétiques, éclos au tournant du siècle ont fait partie des expériences littéraires les plus ferventes de ma jeunesse; le point culminant de son œuvre la Bénédiction de la terre fut pour moi aussi l’événement bouleversant que ce livre splendide a été alors pour bien des cœurs allemands tourmentés par la guerre. (Thomas Mann, sur Les fruits de la Terre)